Aline Pénitot est compositrice de musique concrète. Elle décèle la musicalité de sons enregistrés au microphone et en fabrique ensuite des compositions sonores. En 2013, elle découvre d’étranges similitudes entre le timbre du basson et les chants de baleines à bosse.

En résulte un projet complexe, entre recherche, exploration, expérimentation, composition et représentation, dont Why Note • Centre de création musicale a accueilli la Phase I en 2017 et et la Phase II le 5 décembre 2019 !

En amont du concert, l’artiste propose une petite chronique toutes les deux semaines pour nous embarquer dans son univers !

 Double épisode
S01 • E03 ● Basson vs Baleine : le choc

S01 • E04 ● Olivier Adam : La réponse de la baleine à bosse phase 1/une utopie

 

Peut-être est-ce ce que Pierre Schaeffer appelle « une trouvaille », quelque chose qui tombe dans l’oreille pour y laisser une trace. Celle-ci remonte à 2012, je suis alors en train de faire des recherches sur le Grand nord au centre culturel inuit. Olivier Adam, bioacousticien, entre dans la salle de conférence et teste le son. Il va parler des mammifères marins, il va faire écouter des sons que lui et ses ami•e•s scientifiques ont captés de par le monde, à Hawaï, en Arctique, à Toulon… Le dauphin à long bec, le narval, le globicéphale, le cachalot… et la baleine à bosse. Reviennent alors les souvenirs d’écoute en mer, sans doute dans le demi-sommeil marin au fond de la bannette du bateau. Olivier Adam fait écouter les premières baleines et voilà une salve de souvenirs qui remontent à la surface. Si seulement j’avais su reconnaître ces chants où ces clics lors des navigations, alors j’aurais sans doute pu savoir que nous naviguions non loin de grands dauphins, d’orques ou de globicéphales. Olivier Adam est formel : le spectacle que donnent les cétacés, il est sous l’eau et il est sonore.

Une grande discussion démarre, je lui raconte notre manière concrète si particulière de déceler la musicalité des sons. Et quelques jours plus tard, je trouve un CD entier de chants de baleines dans ma boîte aux lettres.

Ma journée s’arrête.

Peut-être même ma semaine.

Une foule de questions m’envahissent, toute mon écoute s’en retrouve ébranlée.

Alors que, trainée par des ami•e•s, je sors de ma tanière pour écouter un concert et retrouver la musique humaine… voilà qu’un bassoniste s’impose en fin de concert et moi, je n’entends plus que des baleines sortir de son basson. Un coup de fil et quelques jours plus tard, nous sommes en studio, je lui fais écouter des prises de sons d’océan, de glace au Groenland, de voix inuites et… de baleines à bosse. Le bassoniste s’arrête et me dit : « pourquoi les baleines jouent du basson ? »

Les sons, à peine assemblés, ne sont pas reconnaissables ni par Olivier Adam, ni par les bassonistes avec lesquels j’ai travaillé depuis : ils ne savent pas reconnaître s’il s’agit de baleine ou de basson.

Il me faudra quelques années pour retourner voir Olivier Adam et comprendre un peu plus loin la puissance de cette trouvaille. Nous sommes en 2016 dans son laboratoire à la Sorbonne, il est question de faire notre première conférence-concert ensemble au Museum d’histoire naturelle. Entre temps, Olivier Adam s’est mis à disséquer le système laryngé des baleines à bosse échouées sur les côtes. Et de découvrir, avec ses collègues, trois choses :

1/ que les baleines à bosse ont une poche d’air derrière les poumons, leur permettant un souffle circulaire – ce que nous avions travaillé pour trouver des sons inouïs au basson,
2/ que la taille du système laryngé est la même que celle du basson déplié,
3/ que les baleines produisent le son en faisant vibrer deux cartilages, comme deux roseaux ligaturés, autrement dit, comme l’hanche double du basson.

Depuis, Olivier Adam et moi-même ne cessons d’échanger.

Ici un son… dont je ne dévoile que deux choses : il s’agit de basson, il s’agit de baleines à bosse de l’océan indien et il n’y a aucun montage… à suivre.